La science est compliquée, mais elle peut être accessible, à condition d’avoir certaines clés qui lui sont spécifiques. Si on a ces clés, on arrive facilement à la lire, à l’expliquer et à la vulgariser. Nous avons rencontré Olivier Dessibourg qui nous dévoile ces clés dans cette interview exclusive accordée au journal The Confidential Report. C’était à Lausanne, en Suisse, en marge de la 11e conférence mondiale des journalistes scientifiques qui a rassemblé une foule de journalistes, de scientifiques, d’experts, d’organismes privés et publics, locaux et internationaux, pour débattre de la science, de son importance, de ses défis et de son traitement dans les médias. Olivier Dessibourg est co-fondateur du journal Heidi news, président jusqu’en septembre 2019 de l’Association suisse du journalisme scientifique (ASJS) et président du comité d’organisation de cette rencontre mondiale. Attention, la science a-t-elle une langue? A découvrir également dans cet entretien. Lecture.
Olivier : Y’en a beaucoup mais le plus grand d’un point de vue général c’est que la science soit considérée dans les medias, quels qu’ils soient, presse écrite, radio, télévision, de la même manière, au même niveau que d’autres domaines tels que la politique, l’économie, le sport, etc.
La science est souvent un parent pauvre. Elle est souvent considérée en deuxième, en troisième temps, après tous ces grands autres domaines. Et ce qui doit changer, c’est qu’on considère la science peut-être au même niveau que les autres domaines dans le traitement journalistique qu’on y apporte.
Comment en sommes-nous arrivés là ?
Olivier: C’est le défi justement, c’est le grand défi. Alors il y’a plusieurs manières. La première, la plus simple, la plus efficace, serait d’engager des journalistes scientifiques bien formés, qui sortiraient des écoles de journalisme. Ça c’est un bon idéal qu’on ne connaîtra pas puisqu’on est plutôt au licenciement des journalistes plutôt qu’à l’engagement des journalistes qui plus est des journalistes scientifiques.
Donc, à mon avis, ce qu’il faut bien sûr c’est continuer à garder, à créer ou à maintenir des rubriques de journalistes scientifiques dans les médias existants. Mais c’est aussi peut-être de parler, de discuter, de former, de conscientiser nos collègues généralistes de l’importance de traiter la science de manière qualitative, indépendante et je dirai sainement critique dans les médias.
Comment est-ce qu’on fait ça ?
Olivier: Souvent, les journalistes généralistes ont un peu peur de la science. Il faut montrer que la science peut être accessible et que si on a quelques clés qui sont spécifiques au monde du journaliste scientifique, on arrive à lire la science. Et si on arrive à la lire, on arrive à l’expliquer et à la vulgariser ensuite.
Ces clés, c’est par exemple faire la différence entre un risque absolu et un risque relatif. On parle de statistique, ça peut être compliqué, mais avec des exemples simples et des chiffres, on arrive à faire la différence. Donc ça c’est un exemple précis pour lire les études scientifiques. Quand on parle de risques il faut savoir de quels risques on parle.
Un autre exemple de clé ?
Olivier: Un autre exemple de clé, c’est ce système de « peer-review », la revue par les pairs. Les grandes revues scientifiques sont revues par les pairs c’est à dire que si vous soumettez un article scientifique, il y’a trois autres scientifiques du domaine qui vont le lire, le commenter, le critiquer, ou le valider et le mettre dans cette revue ou alors le critiquer complètement et le laisser. Et ce système de « peer-review » comme on dit, a des codes particuliers. Et les journalistes généralistes ne connaissent pas forcément ces codes.
Par contre, les expliquer, c’est assez simple. Ça permet de classer une bonne information. Par exemple de savoir si une étude a été publiée dans Science ou Nature, de très grandes revues scientifiques, on se dit que c’est quand même plus sérieux qu’une étude qui est publiée dans une revue qu’on ne connait pas. Il y’a 25.000 revues académiques dans le monde et c’est difficile de savoir mais elles sont classées selon des systèmes si précis. De donner ces clés à des journalistes généralistes leur permettraient d’avoir accès au monde de la science, aussi aux coulisses de la science et leur permettrait justement d’avoir un regard éclairé ou pertinent sur le traitement de la science et pas simplement qu’on fasse des copiés-collés des communiqués de presse.
Y a-t-il pour le journaliste scientifique d’autres missions que celles de vulgariser la science et de l’expliquer à la masse ?
Olivier: Pour moi, vulgariser c’est une des tâches du journaliste scientifique mais c’est aussi une tâche que font d’autres personnes qui sont les communicateurs scientifiques dans les universités en Afrique, en Europe ou dans le monde entier. Des gens qui sont là pour communiquer au nom de l’université, on les appelle des communicateurs scientifiques. Ils font aussi de la vulgarisation. Le mot vulgarisation vient du mot latin « vulgus » qui veut dire « peuple », parler au peuple. Donc il y’a une sorte de simplification de l’information et ça se fait autant par des journalistes que par des communicateurs scientifiques que par des YouTubers par exemple.
C’est une des tâches du journaliste scientifique mais ce n’est pas la seule. Dans journaliste scientifique, il y’a journaliste. Le journaliste qu’il soit scientifique, économique, politique ou autres à des règles propres au journalisme qui sont la déontologie, qui sont l’indépendance, qui sont d’aller chercher l’information au-delà des communiqués de presse par exemple, qui sont de révéler des conflits d’intérêts, qui sont de révéler simplement des conflits entre plusieurs personnes etc.
Donc le journaliste scientifique est d’abord un journaliste, il doit appliquer son métier. Il ajoute à ça la tâche la vulgarisation qui est de simplifier la science. C’est deux choses différentes qui sont bien sûr complémentaires, qui sont indispensables pour un bon journalisme scientifique. Mais à la base, un journaliste scientifique est un journaliste, il faut jamais l’oublier.
Comment comprendre que dans nos pays sous-développés, le budget alloué à la recherche scientifique est encore très faible et que le journalisme scientifique n’est pas aussi évolué ?
Olivier: Alors, il y’a deux questions. La première c’est l’allocation des budgets. C’est un domaine que je ne connais pas très bien. Je ne me suis pas penché sur la question de l’allocation des budgets dans les pays africains. Mais ce que je peux dire, par contre, c’est que de le faire permet de miser sur le futur. La science ce n’est pas quelque chose d’immédiat. Construire une route c’est quelque chose d’immédiat. Et c’est très bien, il en faut. Et pour avoir fait des reportages en République Démocratique du Congo (RDC) ou ailleurs, ça compte pour délivrer des vaccins par exemple. On voit qu’une route fait beaucoup plus d’effet que quoi que ce soit et c’est quelque chose d’immédiat. Mais miser sur la science à travers des budgets importants c’est miser sur le futur, c’est miser sur l’avenir d’une société et je trouve que c’est extrêmement noble, extrêmement important.
Maintenant, est ce qu’il faut aussi plus de moyens dans le journalisme scientifique? Oui évidemment. Est-ce que c’est au service public d’attribuer ces moyens? En partie. Les médias doivent être des bastions de l’indépendance et ils devraient faire l’effort de se dire que la science encore une fois est à considérer au même niveau que d’autres domaines. C’est surtout aux médias qui, la plupart du temps sont des sociétés indépendantes de presse, de faire pression pour installer (des journalistes, NDLR) dans la tête des grands groupes de médias. Souvent à la tête de ces groupes, il y’a peu de journalistes scientifiques. Je donne un exemple. Actuellement à la tête du journal « Le Monde » en France, le directeur du Monde qui était à la Cérémonie d’ouverture de la Conférence mondiale, c’est un ancien journaliste scientifique, Jérôme Fénoglio.
A l’ouverture, il a fait un plaidoyer pour la recherche fondamentale. C’est très fort qu’un journaliste scientifique devenu directeur d’un des cinq médias les plus importants au monde dise « je défends dans un cahier de 08 pages la présence de la science fondamentale », parce qu’il sait que c’est en fait la base de développement de toute une pensée, de l’avenir de la démocratie française.
Lors de l’Atelier francophonie, Jérôme Fenoglio a justement expliqué pourquoi il n’y a pas de version anglaise du Monde, c’est, a-t-il dit, pour promouvoir la langue française. Il encourage les journalistes scientifiques francophones à écrire en français. Est-ce que la science a une langue?
Olivier : C’est une bonne question, la science a d’abord la langue de la science. On peut l’écrire en anglais, en chinois, etc. Y a des milliers de revues en chinois auxquelles moi journaliste scientifique européen qui parle anglais français espagnol allemand n’y a pas accès. Je ne parle pas le chinois. Mais si la langue de la science est bonne c’est à dire si elle est faite de manière vérifiable, reproductible, correcte, publiée et vérifiée par les pairs, c’est de la bonne science. La langue de la science c’est d’abord la reproductivité, la vérifiabilité, le sérieux, le caractère vraiment référentiel.
Après si on parle de langue linguistique, l’anglais s’est imposé comme langue internationale de la science. On peut remettre en question ça, je ne serai pas contre. Il y a aussi des revues francophones qui publient des résultats francophones.
Ce qu’il faut aussi voir maintenant, c’est qu’avec les outils de traduction simultanée, on peut rapidement passer de l’un à l’autre. Je dirai que la question n’est pas vraiment là, après il faut que les gens puissent se parler. Actuellement, il faut l’admettre, l’anglais est la langue de la science. Ce n’est pas une vraie réponse à votre question. Pour moi la vraie réponse, la langue de la science, c’est la langue du sérieux, la vérifiabilité, la reproductivité de la science.
Avez-vous aussi le sentiment qu’il y’a une certaine méfiance des scientifiques envers les journalistes?
Olivier: Oui, il ne faut pas se le nier. Ça m’arrive aussi de m’entendre dire : « non, vous les journalistes vous racontez n’importe quoi, vous êtes fiers des gros titres ou de fake news, vous simplifiez trop etc ». Ça m’est encore récemment arrivé. Je peux comprendre ça et j’aimerai dire plusieurs choses à ce niveau-là.
D’abord, c’est une fausse croyance de la part des scientifiques, ceux qui croient qu’ils perdent leurs temps, ils sont beaucoup, à devoir parler à un journaliste, ils se trompent. Et je cite une étude qui a été faite en 2008 en France par le CNRS sur 11 000 chercheurs et leur demandait: est ce que vous avez l’impression de perdre votre temps en parlant des journalistes etc.
Cette étude a montré que ceux qui acceptaient vraiment de faire des efforts de vulgarisation, de participer à des tables rondes, à des cafés scientifiques, à des articles, à des émissions de radios n’étaient pas prétérité ni dans leur carrière académique ni dans leur carrière scientifique. Et la réponse est simple. Pourquoi? Parce qu’ils acquéraient une visibilité à travers les activités de vulgarisation et de communication de la science, qui les faisaient reconnaître auprès des organes de financements, auprès de leurs pairs, auprès des instances académiques, auprès des politiciens etc. Une sorte de figures publiques pour lesquelles on se dit, ah, voilà cette personne on a plus envie de la soutenir.
C’est vrai qu’il y’a une sorte de contrat moral qui doit s’installer entre le journaliste scientifique et le scientifique et pour expliquer ça, j’utilise toujours une phrase du poète français Paul Valéry qui a dit « tout ce qui est simple est faux, mais tout ce qui ne l’est pas est inutilisable ».
Pour raconter au public l’histoire d’un chercheur qui va travailler sur une infime portion de la science dans son domaine de biologie, de physique, vous devez prendre des raccourcis, utiliser des métaphores etc. Or le scientifique a alors lui-même a l’impression que, parce que vous n’allez pas au niveau du détail qui est le sien, ce que vous racontez n’est pas exactement exact, donc il a l’impression d’une certaine manière que c’est faux, c’est la première partie de la citation « tout ce qui est simple est faux ». Et c’est aussi vrai: si on simplifie trop, le résultat peut ne plus être totalement exact.
Mais si on ne le fait pas, si on ne simplifie pas, l’explication est inutilisable dans le sens ou le lecteur au bout de la chaîne, ou l’auditeur, ne comprendra rien. Si vous restez au niveau purement scientifique, vous perdez l’objectif premier du travail de journaliste qui est de transmettre un message indépendant, qualitatif etc. à un lecteur. Et donc c’est une sorte de curseur à placer justement entre l’extrême complexe et le trop simple au risque d’être faux et le placer quelque part en accord avec le scientifique.
Donc le scientifique doit faire l’effort de simplification, accepter des métaphores, accepter des raccourcis, accepter de ne pas tout lire. Et le journaliste doit s’entendre dire, là vous allez trop loin dans la simplification, c’est trop simple, ça fonctionne pas, ce n’est pas comme ça et accepter peut être de monter un peu le niveau. C’est vrai, c’est un vrai échange qui doit s’établir. Donc moi les experts qui nous renvoient simplement dans les bandes, j’essaie de leur expliquer ça et souvent c’est un message qui fonctionne.
Quel est le but de cette conférence et qu’est-ce qui vous a motivé ?
Olivier : Il y’a plusieurs niveaux de réponses. Ma motivation personnelle, c’est que le journaliste scientifique c’est mon métier et je pense que ça le sera toujours. J’adore ce métier et j’adore aussi en parler avec mes collègues du monde entier. Que ce soit vous du continent africain, mes collègues américains, asiatique, sud-américain, j’adore parler des défis de notre métier où qu’ils soient. Mais je me dis ça suffit pas. On peut rester entre nous et parler de nos défis mais il faut que ça résonne aussi dans la société. C’est pour ça que j’ai souhaité cette ouverture avec des politiciens très hauts niveaux, on avait la ministre française de la Recherche et la Vice-présidente de la Confédération suisse pour faire résonner le débat sur les défis dans des cercles plus larges. Parce que c’est eux qui vont pouvoir nous aider à faire tout ce que j’ai raconté jusqu’à maintenant.
Donc le but de cette conférence est à la fois de parler entre nous de nos défis mais aussi de souligner l’importance du journalisme scientifique de qualité, indépendant, sainement critique encore une fois dans les médias. Aujourd’hui, ça été dit plusieurs fois de différentes manières parce que c’est la base du processus démocratique, c’est la base de l’explication de la science au grand public qui souvent est amené à voter, à décider et à se prononcer dans les scrutins.