La revue scientifique Global Africa, un projet auquel notre Réseau des Journalistes Scientifiques d’Afrique Francophone (RJSAF) est partenaire, recherche des propositions d’articles à partir des thématiques esquissées ci-dessous. Les propositions d’une longueur maximale de 1500 signes espaces compris, pourront être soumises en anglais, arabe, français, swahili (ou une autre langue africaine). Elles doivent être envoyées au plus tard le 04 octobre 2021.
Introduction : donner vie au virus / faire vivre la viralité
Depuis fin 2019, le monde vit à l’heure virale. Le nouveau coronavirus (SARS-CoV-2) s’est rapidement propagé, mettant en exergue la densité planétaire des réseaux de mobilité humaine et informationnelle. Il s’est « associé » (Latour 2020) de manière très différente, selon les pays, à des dispositifs de détection, de prise en charge et de contrôle, mais aussi à des marchés du travail et de denrées essentiels, ou à des relations, formelles ou familiales, d’échange, d’obligation et de care.
Le virus est, d’un point de vue biologique, une entité liminaire et relationnelle, viable, mais qui ne peut vivre hors des cellules d’un autre organisme. Il « prend vie » non par l’attaque virale, mais lorsque son hôte entre en relation avec lui (Napier 2012, Brives 2020). Pour les sciences humaines et sociales, l’objet virus incite ainsi à poser la question : comment fait-on vivre le virus et la viralité ?
Question biosociale et écosociale qui évoque les relations spatiales et sociales de la transmission mais également celles qui donnent virulence à l’infection (Lowe 2017) ainsi que les relations entre espèces et habitats qui pourraient faire « émerger » de nouveaux virus. Question épistémologique par ailleurs : par quels modes de savoirs et de détection fait-on entrer le virus dans les relations sociales et politiques ?
Question socioculturelle enfin : celle de la viralité que l’on fait vivre par les récits sur les agents pathogènes et éclosions épidémiques (Wald 2008, Quammen 2015) mais aussi par les représentations de migrants, d’étrangers, de populations et d’espaces– très souvent africains – comme vecteurs ou terrains de latence et d’émergence virale (Auray et Keck 2015).
Ce numéro invite à penser la viralité à partir de l’Afrique globale selon une approche pluridisciplinaire. Il s’agit d’appréhender le virus non seulement comme réalité biologique, mais aussi comme objet d’informations ou comme lieu d’enjeux qui cristallisent la relation de l’Afrique au monde du point de vue de la construction du risque, des mobilités, de la gestion des ressources naturelles, de la production des savoirs ou encore des inégalités des conditions de vie et des politiques de prévention et de soins.
Nous sollicitons des articles à partir des thématiques esquissées ci-dessous.
1. L’Afrique « terre de virus »
Viralité et Afrique sont deux notions consubstantielles dans l’imaginaire occidental. Dès les premières rencontres avec les explorateurs et administrateurs coloniaux, l’Afrique apparaît comme le pays des fièvres et donc comme le tombeau de l’Homme blanc (Dozon 1995). Les Africains, vecteurs de fièvre jaune, mais aussi de maladies non virales comme le paludisme, la trypanosomiase humaine africaine et la peste, étaient représentés comme « réservoirs à virus », justifiant la ségrégation raciale des villes (M’Bokolo 1982) ainsi que les campagnes militarisées de dépistage, de traitement, de prophylaxie et de déplacement des populations
(Lachenal 2014). On a expérimenté, sur les corps africains, de nouveaux vaccins viraux dont celui contre la fièvre jaune et celui contre l’hépatite B. On a également mené en Afrique des campagnes de vaccination de masse antivariolique et antirougeoleuse. Alors que l’expérimentation vaccinale continue, le continent est aussi accusé de « résister » à l’éradication de la polio (Yahya 2007). Dans ce contexte, l’Afrique est souvent pensée comme siège d’une menace virale à contenir dans la continuité de l’imaginaire colonial de la vulnérabilité « Blanche » (Anderson 1996). Le continent occupe de ce fait une place dominante dans l’imaginaire bio-sécuritaire néolibéral (Cooper 2008, Wald 2008).
Avec la Covid 19, les représentations ont semblé s’inverser dans un premier temps, pendant quelques mois, l’Occident a été une menace pour l’Afrique. Toutefois, l’absence de capacité vaccinale vient de nouveau installer le continent comme siège de(s) menace(s) virale(s) à venir. Dans ce numéro spécial, nous souhaitons penser la longue durée du rapport construit entre l’Afrique et les virus. Dépassant l’objet biologique virus, on voudra donc s’interroger sur la viralité des représentations qui circulent sur le continent, mais également sur le continent européen qui émerge non plus en tant qu’eldorado, mais “tombeau de l’homme noir”.
2. Questionner l’Anthropocène
Depuis la ville de Wuhan, la Covid 19 s’est imposée à l’échelle planétaire. Sur la base d’une extrapolation à partir de 380 nouveaux virus identifiés chez les chauves-souris, le programme PREDICT 1(Reducing Pandemic Risk, Promoting Global Health) a estimé entre 360 000 et 460 000 le nombre de nouvelles espèces de virus à découvrir. La pression sur les écosystèmes pour diverses activités intensives d’extraction, de production, interfère avec les cycles naturels de micro-organismes, enzootiques ou sylvatiques, qui pour certains n’ont que peu, voire jamais, été en contact avec les humains. En bouleversant les écosystèmes, en particulier les milieux forestiers, les communautés humaines courent le risque d’un contact avec les pathogènes des espèces animales qui y vivent. Selon Jean-François Guégan, la destruction à grande échelle des forêts à travers le monde, notamment en Afrique, entraîne une cohabitation accrue entre animaux sauvages, animaux d’élevage et êtres humains ; ou pour le dire autrement, les « humains se sont rapprochés des microbes » et des virus, engendrant un éveil de cycles microbiens naturels peu ou jamais exposés aux humains (Guégan, Thoisy et al. 2018, Guégan 2020). Ainsi, ces forêts tropicales et équatoriales, bouleversées par l’activité humaine, constituent de futures bombes biologiques, invitant à anticiper les menaces virales, et dans tous les cas, à s’inscrire aujourd’hui dans une approche « One Health ».
Le néologisme Anthropocène s’est imposé pour rendre compte de la capacité de l’humanité, par ses activités, à supplanter les facteurs naturels pour modifier la trajectoire des écosystèmes. Comme le souligne Michel Magny (2021), si l’impact de l’activité humaine sur les milieux naturels atteint effectivement une ampleur sans précédent, l’intensité du phénomène nous interroge sur notre espèce et ses relations avec les autres vivants, dont les virus. D’ailleurs, tout en reconnaissant l’impact de l’Anthropocène, on pourrait adopter une approche plus critique. Faut-il ainsi accepter l’argument de la pression humaine alors qu’en Guinée Conakry, les travaux de James Fairhead et Melissa Leach (1995a ; 1995b) montrent que depuis les années 2000, la pression s’est relâchée, notamment en raison de l’insécurité liée aux incursions rebelles venues de Sierra Leone ? Et que Jacques Pépin (2011) a bien montré, en prenant l’exemple du VIH, que la circulation du virus était moins liée à l’exploitation de la forêt en tant que telle qu’aux politiques coloniales urbaines (ségrégation) et sanitaires ? Et qu’enfin, les récentes épidémies Ebola (RDC et Guinée) ne sont pas zoonotiques, mais d’origine humaine ?
Outre les réflexions philosophiques sur les multiples fronts que dessine l’Anthropocène en termes de menace virale, ce numéro spécial accueille des articles documentant, au travers d’études de cas, la biographie et la trajectoire de zoonoses ou de virus spécifiques, depuis les animaux vers les humains et/ou de la forêt vers la ville.
3. Circulations
En plus de la déforestation qui engendre des circulations de micro-organismes entre espèces, l’accroissement de la population urbaine et de la taille des villes, dans les régions intertropicales, expose à des dangers microbiologiques nouveaux, plus importants et plus fréquents. Ces villes abritent par ailleurs des populations démunies, particulièrement vulnérables à la menace virale (Guégan 2020). Selon l’Organisation des Nations unies (ONU), 2,5 milliards de personnes supplémentaires vivront dans les zones urbaines d’ici 2050. Or, plusieurs travaux établissent un lien entre les risques sanitaires, le bien-être, la santé mentale et l’aménagement des villes. L’urbanisation anarchique et non contrôlée des villes africaines a été relevée, avec les problèmes d’insécurité et de violence, d’inégalités (environnementales / sanitaires), d’assainissement et de pollution atmosphérique.
Autour de l’objet virus, ce numéro spécial voudrait interroger la circulation des virus, des menaces virales, la transmission/contagion, mais aussi la prévention et l’anticipation du risque épidémique à travers l’usage de l’intelligence artificielle pour envisager les possibles, mais également grâce à l’analyse de cartes interactives pour suivre et documenter la trajectoire de la menace et son emprise. Il interroge la circulation du vivant sous ses différentes formes et par différents médiums à l’échelle globale ainsi que la fabrication des micro-organismes virulents ou atténués in situ ou dans des laboratoires, à des fins de prévention ou de (bio)terrorisme. Ainsi, si la récente pandémie de Covid 19 nous a révélé notre « socle biologique commun insensible à toute condition sociale et toute appartenance culturelle » (Garapon 2020), les inégalités infrastructurelles et la fracture numérique persistent. De la sorte, ce numéro spécial accueille des textes qui se fondent sur des analyses documentées des processus de production de micro-organismes dans les laboratoires à partir d’animaux de laboratoire. Il présente les enjeux du bioterrorisme et des défis posés à l’échelle globale, et en particulier dans les pays du Sud où les infrastructures assurant la sécurité des productions de laboratoire dans des circuits fermés peuvent être défaillantes.
4. Régimes d’exception, protestations
Quand la menace virale devient réalité épidémique dans une configuration spatio-temporelle spécifique, elle vient souvent révéler des processus de violence structurelle (Fassin 2004, Farmer 2005), elle met à nu des crises antérieures, des ressentiments accumulés (Garapon 2020) et elle peut être envisagée comme une réminiscence : les corps se souviennent (Fassin 2006). On a pu organiser des populations, créant des frontières physiques ou symboliques, reléguant à la marge ou à la périphérie par des stratégies diverses certains groupes, enfermant, ou tuant des corps porteurs de virus potentiellement dangereux pour préserver les corps sains, encercler, contenir l’épidémie pour la juguler, comme on l’a vu à l’époque coloniale (Lyons 1985, Lyons 1992) ou pendant les récentes épidémies (VIH, Ebola, etc.). De même, la marginalisation, la relégation peuvent conduire à des manifestations de protestation prenant la forme de revendications pour des formes de citoyennetésspécifiques : citoyenneté thérapeutique, écocitoyenneté, citoyenneté mondiale ou globale, etc.
Ce numéro spécial accueille des articles portant sur les moments et régimes d’exception mis en place dans le contexte africain pour faire face à la menace virale ou à l’épidémie, et sur les protestations qu’ils ont engendrées.
5. Virus, géopolitique, production des savoirs
L’objet virus interroge la production, la circulation des savoirs, de l’information, des dispositifs techniques et technologiques, ainsi que la capacité des Etats à faire face à la menace virale ou à l’épidémie, qu’il s’agisse de l’accès aux molécules, de la sécurisation des frontières, de la sécurité informatique, de l’hébergement des données, de la protection des données personnelles. L’objet virus, quand il s’applique à ces domaines, pourrait fournir d’autres grilles de lecture de la géopolitique à partir du continent africain où, sur fond d’aide humanitaire, de politiques de santé, etc., les pays du Nord déploient différentes stratégies pour utiliser les corps à des fins d’essais thérapeutiques (Petryna 2009) ou pour accéder aux ressources des écosystèmes.
On assiste alors à une forme de colonisation non plus des corps humains, mais du vivant, qui devient une simple matière à fort potentiel économique mais également épidémique et sur la base duquel une guerre virtuelle ou une attaque bioterroriste pourraient être organisées. Ce numéro accueille des contributions qui analysent, sur la base de données empiriques et d’études de cas solides, la manière dont l’objet virus redessine la géopolitique à partir de l’Afrique, tout en créant un continent évoluant à différentes vitesses en fonction de l’intérêt des Etats, des fondations pour des pays spécifiques. Et cette géopolitique, en rendant visibles certains lieux, en occulte d’autres (Brown, Craddock et al. 2012).
6. Désenclaver l’Afrique
Les virus et leurs atteintes sur les corps biologiques et sociaux divergent au Nord et au Sud : face aux virus, nous ne sommes pas égaux. Les moyens de prévention et de riposte à la contagion obéissent à des logiques spécifiques aux contextes et sont inégalement répartis.
Ainsi, quand bien même un événement épidémique s’imposerait à l’échelle planétaire, les contraintes liées aux déplacements, aux interactions, à l’hyper circulation d’informations (infodémie), mais aussi la vitesse avec laquelle les industries pharmaceutiques peuvent produire des molécules, dévoilent la géographie des inégalités. En conséquence, si nous vivons tous avec des virus, les termes de la négociation avec ces derniers varient en fonction de facteurs géographiques, technologiques, économiques. La notion de « local biologies » (Lock and Kaufert 2001) a rappelé utilement en quoi le corps était, au-delà de la biologie, le produit de l’histoire et du contexte économique et social. De ce fait, notre rapport au virus est forcément local. Ce local est cependant lui-même travaillé par des paradigmes instables (Giles Vernick and Webb 2013). Au cours des deux dernières décennies, nous sommes passés d’une approche de la santé internationale qui s’est voulue globale ‒ Global Health – et qui désormais se veut intégrée ‒ One Health. Autrement dit, la « Terre s’arrondit » (Moulin 2014). Ce qui n’empêche pas la mise en place de réponses hégémoniques, autoritaires, souvent violentes.
Le numéro spécial accueille des contributions liées à cette imbrication du local et du global.
Les propositions de communication, d’une longueur maximale de 1500 signes espaces compris, pourront être soumises en anglais, arabe, français, swahili (ou une autre langue africaine). Le résumé doit explicitement prendre en charge les cinq (5) questions suivantes :
1. Votre article entre-t-il dans le champ de notre revue ? Quels aspects sociétaux ET globaux aborde-t-il ?
2. Quelle est la question/le problème scientifique abordé.e dans la proposition ? 3. Quelle(s) est/sont la (les) conclusion(s) clé(s) qui répondent à cette question ? (ou l’idée clé )
4. Quels sont les trois articles les plus récemment publiés qui sont pertinents pour cette question ? Pourquoi votre papier est-il original par rapport à ceux-ci ?
5. Pourquoi ce travail est-il important et opportun ?
Les propositions doivent être envoyées à l’adresse suivante : redaction@globalafrica.ac au plus tard le 04 octobre 2021.